Réflexions personnelles sur notre système éducatif et son actualité

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« Enseigner l’esprit d’entreprendre à l’école », du jugement hâtif à l’expérience vécue

In Au piquet, Salle de classe on 28 octobre 2016 at 16 h 22 min

Un article de Lucie Tanguy paru il y a quelques jours dans The Conversation met en cause les projets de minientreprises mis en place depuis plusieurs années dans les collèges et lycées.

Je participe depuis plusieurs années à la création de ces mini entreprises avec mes élèves en partenariat avec EPA (cité dans l’article) et depuis peu en croisant avec les outils de la plateforme de ressources de l’ESS. Cette année, du reste, ce projet se fait sous la forme d’un EPI qui concerne l’ensemble des disciplines et les collègues ont su lui donner un nouvel élan qui m’a vraiment étonné.

Je ne suis absolument pas d’accord avec cet article. L’auteur aurait dû aller sur le terrain voir ce qui se fait vraiment plutôt que d’enquêter à partir des documents écrits et de rester sur ses a priori.

Des erreurs

Aussi, j’ai repéré plusieurs erreurs ou approximations plus que malheureuses dans cet article :

« La création et le fonctionnement des mini-entreprises s’accomplissent sous la direction d’un représentant de l’association ». C’est faux. Le projet se fait sous la direction des enseignants qui utilisent comme bon leur semble les outils fournis par EPA. Le représentant d’EPA intervient (ou pas) à leur demande et n’a qu’un rôle d’accompagnant dans la démarche. Rien d’intrusif.

« Les noms attribués aux mini-entreprises révèlent bien qu’il n’y a pas de véritable travail dans la fabrication de leurs objets ». Faux là encore. Certains projets sont très ancrés autour de la fabrication, mon collègue de technologie pourrait en témoigner en commentant ce document et cette photographie issus du projet d’il y a deux ans. D’autres non car les mini entreprises choisissent parfois la sous-traitance de la fabrication, d’autres encore font le choix de développer un service. Bref une découverte de l’économie.

dossier-techfab

« EPA, comme toutes les associations répertoriées affirment avoir, avant tout, pour objectif de transmettre « la culture d’entreprendre », « l’esprit d’entreprise » qui se définissent par les principales qualités à faire acquérir aux jeunes : motivation, enthousiasme, autonomie… Comme le traduisent les récits et observations recueillis. » Si EPA affiche comme objectif de faire découvrir l’esprit d’entreprendre (et non d’entreprise) et le travail d’équipe (est-ce mal?), les enseignants y voient plutôt la possibilité de faire découvrir le fonctionnement de l’entreprise à des élèves qui y travailleront plus tard pour la majorité. Le pari peut être de penser que ces derniers seront plus à même de s’y retrouver (voire de s’y défendre?) s’ils connaissent mieux ce monde. C’est donc l’idée même d’un partenariat. Chacun s’y retrouve.

Notons que toutes les écoles d’ingénieurs proposent de tels projets. Faut-il les réserver à notre seule « élite » ?

« Les profils de poste de direction affichés dans un lycée pour recruter des candidats ne mentionnent aucune exigence autre que des attitudes et des dispositions comportementales » . Faux ! Mes élèves élus gérants font actuellement passer leurs entretiens d’embauche et ils veillent à placer leur camarade au poste dans lequel ils pourront s’épanouir grâce aux compétences qu’ils possèdent. Ces derniers les ont bien mises en avant dans leur cv et lettres de motivation. C’est aussi ce qu’il y a de très positifs dans un tel projet : chacun est mis en valeur en fonction des savoirs et compétences qu’ils maîtrisent ou sait développer. Voilà donc un projet qui reconnaît l’importance de chacun, l’apport de chacun. Notons que l’an dernier mes élèves avaient prévu un plan de formation pour qui voudrait développer de nouvelles compétences.

« Au lieu et place de ceux-ci, il importerait plutôt de concevoir un enseignement qui intègre les connaissances et leur mise en œuvre dans un travail produisant des biens et services socialement utiles, de sorte à concilier les impératifs économiques, démocratiques et de justice sociale. » L’auteur peut se rassurer, je reconnais dans ces derniers propos ce que je fais avec mes élèves avec ces projets.  D’une part, chaque année, les élèves ont choisit de créer une société coopérative (c’est le cas de la quasi totalité des minientreprises). Et les outils d’EPA permettent et encouragent la création de SCOP. Assemblée générale, vote démocratique, charte de valeurs, parité … font partie intégrante du projet. Les outils proposés induisent aussi une réflexion sur l’utilité sociale du produit ou service fourni. Mes élèves créent également un syndicat et élisent un délégué du personnel. Ça n’a jamais dérangé l’association partenaire, bien au contraire.

Pas de complot ultralibéral

J’entends déjà ceux qui adorent jouer les avant-garde du prolétariat derrière leur écran crier au grand complot du capitalisme mangeur d’hommes, de la marchandisation et de l’uberisation de l’école comme le fait sur la fin Lucie Tanguy. Dans les faits, on en est bien loin …

Le discours tenu par cette association et les enseignants qui s’engagent tournent autour de la reconnaissance des projets collectifs et des personnes comme valeurs premières dans l’économie (j’invite l’auteur ou les adeptes des théories du complot à écouter les propos tenus dans les vidéos le jour du concours).

J’ai toujours pu remarquer la grande ouverture d’esprit des personnes croisées dans ces projets, y compris des « entrepreneurs ». Ces derniers ne sont en rien des requins du capitalisme (ceux là ne semblent pas s’investir dans ce type de partenariat et c’est tant mieux). Ceux que mes élèves ont rencontré ont franchement apporté aux élèves et dans le respect des règles de neutralité : que ce soit cet ancien sportif de haut niveau qui a créé son entreprise comme reconversion , ou encore l’un des créateurs d’Ankama …

Je terminerai enfin par raconter la remise des prix de l’an dernier. J’y ai vécu là un des moments, (le moment ?) les plus positifs de ma carrière de prof. La minientreprise primée a été celle d’élèves d’une IME, avec des handicaps très lourds. Ils avaient bâti leur projet autour de leur handicap voulant montrer qu’ils avaient leur place dans l’économie, avec un vrai esprit militant (allant jusqu’à l’autodérision dans le clip publicitaire qu’ils avaient produit). Quand le résultat a été proclamé, standing ovation des 2000 jeunes présents pendant que les lauréats montaient sur scène ( et vu leur handicap, ils ont mis du temps à monter). Tous les profs présents étaient très très émus non pas de cette récompense mais de la réaction des autres élèves qui avaient oublié leur déception de ne pas être récompensés devant la leçon d’humanité, de citoyenneté, d’économie sociale et responsable qu’il venait de vivre.

D’une manière générale, du reste, ces projets marquent les élèves. J’ai ainsi appris récemment qu’une ancienne élève devenue assistante d’éducation avait lancé un club mini entreprise là où elle travaille.

Prompts (à juste titre) à dénoncer les caricatures dont ils sont affublés, les enseignants devraient aussi apprendre à ne pas tomber eux-mêmes dans la caricature.

Enfin, il faut aussi faire confiance aux collègues qui savent être suffisamment vigilants pour que de tels partenariats soient positifs.

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