Les débats entre profs autour de la réforme du collège ont atteint des sommets d’intolérance ces derniers jours. Pour les opposants à la réforme, il n’est tout simplement pas envisageable que des collègues puissent s’y retrouver.
Ainsi a-t-on droit, non pas à des critiques contre la réforme mais à des critiques contre ceux qui sont pour la réforme.
On aurait pu dire ou écrire « Nous craignons que cette réforme multiplie les hiérarchies intermédiaires« , on a eu droit à « les partisans de la réformes sont pour plus de hiérarchie intermédiaire #ouichef #ouichef »
Parfois on a balayé d’un revers de la main les positions des partisans de la réforme en les accusant tout simplement « de ne jamais voir un élève« .
On aurait pu affirmer « nous sommes sceptiques sur le bien fondé des projets interdisciplinaires », on a préféré caricaturer les pratiques de collègues les mettant en oeuvre « un projet interdisciplinaire, c’est fabriquer un porte-clé en forme de fleur de lys »
On a aussi eu droit à toute une série d’exagérations.
Ainsi en lieu et place de « l’enseignement du latin risque d’être dénaturé avec ce nouveau cadre » on a eu « le latin est supprimé ! ce sont les humanités qu’on assassine comme à Mossoul! »
Plutôt que d’avancer que « l’allemand risquait peut-être de perdre des élèves avec la suppression de l’option bilangue (là où elle existe)« , nous avons entendu « la langue de notre premier partenaire commercial ne sera plus enseignée« .
On a même pu lire que c’était un cadeau fait aux collèges privés … qui doivent pourtant eux-aussi appliquer la réforme
On aurait pu entendre « Nous ne sommes pas favorables à davantage d’autonomie donnée aux établissements car elle peut engendrer des disparités trop grandes » mais nous avons entendu « c’est la casse du service public voulue par l’OCDE« .
Faut-il que les opposants à cette réforme et aux nouveaux programmes qui l’accompagneront soient si peu surs de leur position en faveur du maintien d’un système qui engendre des inégalités pour se montrer incapables d’argumenter sereinement ?
On peut être contre cette réforme mais qu’on nous explique vraiment pourquoi … et qu’on accepte que d’autres puissent la trouver positive.
Dès sa présentation initiale, la réforme du collège a provoqué un tollé surjoué. Accusée de tous les maux avant même qu’elle n’ait eu la chance d’être précisée et encore moins mise en œuvre, elle constitue un enjeu important pour la démocratisation du collège. Construire enfin le collège unique et sortir d’une vision mini-lycée.
Nous avons la conviction que la réforme proposée aujourd’hui va dans le bon sens, qu’elle est relativement ambitieuse et qu’il faudra avoir le courage d’aller au bout de l’idée.
Cette réforme a ses détracteurs. Si nous pouvons comprendre l’inquiétude des collègues de bonne foi, inquiets par l’inconnu, il ne faut pas se voiler la face, d’autres défendent une vision passéiste de l’école. La blouse et le tableau noir, le maître qui détient et déverse son savoir… et au final des élèves laissés pour compte.
Plus inquiétant peut être, des collègues plutôt progressistes, qui s’opposent avant tout parce que certains points les inquiètent, demandent à être précisés ou ajustés… au risque de se retrouver, par la force des choses, alliés à ceux qui ont une vision opposée de l’école.
Car il ne faut pas se tromper d’enjeu, c’est bien la philosophie générale du projet qu’il faut défendre. Les points de tension relèvent désormais de la construction et non de l’opposition qui ne servira que le statu quo, voire la préparation d’un retour en arrière.
Revenons sur certains des arguments entendus pour critiquer ce projet de réforme, (on ne commentera pas par contre les grossières tentatives de manipulation pour faire peur aux collègues).
→ Petite réforme, peu ambitieuse ?
Assez curieusement, dans les premières heures qui ont suivi les annonces ministérielles, certaines voix ont dénoncé une reforme à l’eau tiède. « Tout ça pour ça ». Etant donné l’hystérie qu’elle soulève depuis, elle n’est clairement pas de cet ordre.
En effet, si elle va à son terme sans perdre ses grandes lignes, c’est pour nous une révolution au niveau du collège.
N’oublions pas que cette réforme est globale, qu’elle s’accompagne d’un nouveau socle, de nouveaux programmes par cycle… A-t-on déjà été aussi global dans l’approche ? Cette fois, ça ressemble clairement à une refondation.
Evidemment, on aurait préféré qu’elle aille plus loin, que les choix soient encore plus courageux.
Il ne faudrait pas non plus que les nécessaires ajustements après négociations détricotent trop le projet initial. Attention notamment à ne pas surcharger l’emploi du temps des élèves et/ou trop diminuer les marges de manœuvre initialement prévues en revenant trop sur les horaires disciplinaires. (S’il fallait satisfaire toutes les associations disciplinaire, l’emploi du temps des élèves atteindrait facilement les 50 heures/semaine). Ayons pour une fois une vision globale du projet éducatif du collège.
→ “On faisait déjà !”
Technique bien connue des conservateurs : crier qu’on faisait déjà ! C’est exactement ce qu’on a pu entendre sur le travail par compétences… Passons sur le fait qu’il soit alors curieux de s’opposer à la réforme si elle conforte des pratiques (soit-disants) existantes…
L’interdisciplinarité, on faisait déjà ? Alors très bien, la voir instituée avec un temps dédié sans devoir négocier des modifications d’emploi du temps est donc une aubaine.
Accompagner personnellement les élèves ? Le collège le faisait déjà ? L’AP n’existe officiellement qu’en classe de 6ème et il est loin d’être utilisé en tant que tel dans la totalité des collèges. Combien d’établissements redistribuent les heures à des disciplines ou constituent des groupes figés ?
Et donc en 5e, 4e, 3e ? Du soutien externalisé parfois pour les élèves en difficulté…
On parle cette fois d’un vrai temps institué pour le faire. L’AP se fera avec un effectif trop nombreux ? Peut-être, mais faut-il attendre le grand soir pour commencer à aider différemment les élèves en difficulté?
→ “La réforme du collège remet en cause les disciplines.”
Parce que croiser les disciplines pour donner du sens aux apprentissages revient à les supprimer ? Mettre en avant la complémentarité des disciplines, la faire comprendre aux élèves c’est au contraire les conforter dans leurs rôles respectifs.
→ “Présenter le pluri/transdisciplinaire comme la panacée, ce n’est pas sérieux !”
Avec 20 % seulement de l’emploi du temps élèves consacrés aux projets plurisdisciplinaires, il n’est pas sérieux de faire croire que cette réforme les présente comme la solution miracle. Nous avons maintes fois précisé que nous ne croyons pas à une forme de pédagogie qui réussirait avec tous les élèves mais qu’au contraire c’est par la diversité des méthodes utilisées qu’on sera à même de toucher tous les élèves. La réforme offre un cadre pour pouvoir mettre en oeuvre un peu de cette diversité.
→ “Le transdisciplinaire ça ne marche pas !”
Voilà une contradiction supplémentaire si on rattache cet argument au “On le faisait déjà”. Il ne faudrait pas croire que cette contradiction soit due à l’attelage hétéroclite des opposants au projet. Non, Bizarrement on peut lire ces deux phrases antagonistes à partir des mêmes sources.
Si ça ne marche pas, pourquoi tant de collègues le faisaient déjà ? La question mérite d’être posée.
Affirmer que cela ne fonctionne pas, voire que c’est néfaste aux élèves, c’est une fois de plus une remise en cause inadmissible vis à vis des nombreux collègues qui utilisent ces pratiques, le plus souvent avec des élèves en difficultés et/ou dans des établissements dit difficiles. Une partie des propositions faites pour le collège s’appuient sur ce qui a été mis en oeuvre sur le terrain. Certains font semblant de l’oublier ou de ne pas le croire.
→ “C’est une remise en cause de la liberté pédagogique !”
On est là face à une vraie contradiction dans le discours des conservateurs. Ils ne cessent de réclamer un cadrage national et s’oppose à la généralisation de ce qui était des exceptions tolérées dans le cadre d’expérimentation. Bien loin d’obliger tous les profs à s’investir dans une pédagogie du projet croisant les disciplines, ces EPI vont plutôt offrir un cadre qui manquait jusque là à ceux qui souhaitent s’y investir. Les collègues qui feront le choix de s’y investir (avec 20 % de l’emploi du temps des élèves concerné, on ne fera croire à personne que tous les profs se le verront imposer) pourront désormais le faire sans les contraintes de l’article 34.
Mais la liberté pédagogique s’arrête pour certains là où commence une certaine vision de la pédagogie… C’est en effet cocasse de voir un syndicat influent vouloir défendre la liberté pédagogique alors qu’il s’était opposé à l’ouverture du collège Clisthène.
→” Les EPI ne serviront que de variables d’ajustement ?”
Pourquoi donc ne pas faire confiance aux collègues pour imposer l’aspect pédagogique de ce cadre plutôt que son aspect comptable ? Evidemment si on crie haut et fort que la pédagogie du projet et l’interdisciplinarité n’ont aucune valeur pédagogique, ça va être difficile.
Et reprocher aux collègues d’avoir parfois utilisé les idd pour éviter un service partagé, c’est un peu dur. Et souvent injuste car les dits collègues ont su alors s’approprier les idd pour en faire de vrais moments d’apprentissages (bien loin des caricatures qu’on a pu lire ici ou là).
Ajoutons que les EPI ne font pas l’objet d’une dotation “à part”, ils sont intégrés aux disciplines. Ainsi, si on décide de faire un EPI avec de l’histoire-géographie, on n’ajoute pas d’heures dans cette discipline pour compléter un service. On décide simplement de faire autrement sur une partie des heures dédiées pour diversifier les approches.
→ “La réforme crée de nouvelles hiérarchies intermédiaires fondées sur le caporalisme”
Dans la ligne de mire de cette critique, les conseils pédagogiques qui devraient travailler à la mise en oeuvre de la modeste autonomie accordée aux équipes. Encore une fois, cette critique montre un manque de confiance totale envers les collègues. Le conseil pédagogique c’est un conseil d’enseignants ! Etonnant ce rejet de la part d’organisation qui réclame par ailleurs l’autogestion…
On le voit, les enjeux de cette réforme ne méritaient sans doute pas tous les excès auxquels on a eu droit de la part de ses détracteurs.
L’emploi de termes guerriers utilisés par trois organisations syndicales dans leur mails respectifs envoyés à tous les enseignants étaient-il justifiés ?
On a pu entendre et lire de vives attaques à l’encontre des associations et organisations syndicales qui soutiennent ce projet. Pourquoi s’y opposeraient-elles alors qu’il correspond à ce qu’elles réclament depuis toujours ? Faudrait-il se renier sous prétexte que cette réforme est proposée par un gouvernement dont on peut par ailleurs combattre d’autres projets ? Conception étrange du militantisme. Conception qui a engendré bien des outrances. Ainsi les partisans de la réforme se sont vu qualifier de “jaunes” de “collaborateurs”… Les mots ont un sens que l’histoire a façonné. Il faut donc être rigoureux dans leur emploi (un peu comme quand on parle de prise d’otages lors de grèves). Nous ne nous souvenons pas de l’utilisation de tels qualificatifs quand un membre influent d’un syndicat écrivait en catimini les programmes Darcos de 2007, ni quand certaines organisations ont encensé le président de la République et le gouvernement actuels quand ils ont annoncé le maintien des notes.
Faut-il être si peu sûr de son opposition à un projet pour tomber dans de tels excès.