Réflexions personnelles sur notre système éducatif et son actualité

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Dindons, fin de la farce ?

In Au piquet on 20 février 2013 at 16 h 18 min

Alors que le retour à 4 jours et demi faisait consensus au sein de la communauté éducative, le collectif des dindons voyait le jour, faisant écho au collectif des pigeons qui avait eu son moment de gloire médiatique.
Lors du passage à la semaine de quatre jours nous n’avions pas eu droit à un collectif des autruches (qui n’auraient pas voulu la faire – l’autruche- face au “Munich pédagogique” dénoncé alors par Antoine Prost). Mais revenons à nos … dindons

Comme tout collectif de ce genre, on a pu déceler dans les propos tenus une certaine défiance à l’égard des syndicats, ces corps intermédiaires fustigés lors du dernier quinquennat (et qui ont cette fois-ci été consultés ! ). On peut avoir du reste d’autant plus de mal à comprendre pourquoi certains d’entre eux ont fini par les suivre …
S’opposant à la réforme des rythmes scolaires, ce regroupement a choisi l’anonymat comme mode de communication. Les désobéisseurs qui s’étaient opposés à la politique des trois derniers ministres s’étaient montrés bien plus courageux. Avant même la publication du décret (et donc des modalités réelles du passage à 4 jours et demi), les dindons se sont montrés très vindicatifs face au projet de Vincent Peillon, jouant sur la corde « on va encore nous demander des efforts sans contrepartie » ou “encore une fois ce sont les PE qui doivent amorcer le changement”.
Joli coup de buzz qui a réussi à ratisser large.

C’est là que ça se corse. C’est là que l’arnaque commence ! S’opposer d’accord, proposer est une autre chose.  Pendant plusieurs mois, les dindons n’ont jamais été clairs sur ce qu’ils souhaitaient. Nous avons eu l’occasion d’échanger avec plusieurs d’entre eux durant cette période pour tenter de comprendre. IMPOSSIBLE d’avoir une réponse claire. Pire, ce sont des raisons très diverses, voir contradictoires qui nous ont été données pour refuser la réforme des rythmes.
« Ca ne va pas assez loin, il faut des journées encore plus courte avec plus de périscolaire »
« Impossible de mettre en place du vrai périscolaire, nous n’avons pas les moyens »
“Le périscolaire c’est du gadget avec des animateurs pas toujours compétents”
« Les rythmes c’est bien mais il faut revoir les programmes, les salaires, les moyens … avant»
« Il faut revenir aux fondamentaux avant tout »
« Il n’y aura pas stricte égalité sur le territoire »
« On ne nous laisse pas assez la parole pour proposer des solutions locales »

Bref, un magma d’arguments ayant pour seul dénominateur commun le refus du décret (arrivé entre temps).
Mais aucune proposition globale et cohérente de la part de ce collectif. Et pour cause, c’était une stratégie payante : ratisser très large sur le « NON » quitte à fédérer des personnes ayant des visions totalement opposées de l’école et de son avenir. 16 000 signatures… tout ça sans propositions !
Certaines craintes peuvent s’entendre mais elles ne justifient en rien un tel mouvement, un tel refus ! Des solutions peuvent être trouvées, de nombreux exemples locaux le prouvent.
Cette contestation a atteint son paroxysme lorsque tout ce joli monde s’est retrouvé à embrayer le pas d’un mouvement initié à l’origine pour le retrait total de l’ensemble du projet de loi sur l’école (comprenant les 60 000 postes, le « plus de maîtres que de classes », le retour d’une vraie formation, la refonte des programmes).

Aujourd’hui les masques commencent à tomber ! Le collectif des « dindons » propose enfin sa vision dans une lettre à Vincent Peillon. En réalité, ce sont 9 personnes qui signent la lettre, prenant soin de préciser qu’en fait ils ne représentent peut être pas tous les dindons mais ce sont les dindons quand même qui s’expriment !
Et que veulent-ils ? L’augmentation des heures ! 26H par semaine sans périscolaire… quelques jours après la proposition du GRIP et son retour à 27h (précisons que ce mouvement a pour objectif un retour au passé avec une instruction pure et simple et limitation initiale au « savoir lire écrire compter calculer » … du Darcos dans le texte). Les « dindons » souhaitent tout de même un peu de concertation, là où le GRIP juge tout ça comme du gagdet pédago. Remarquons au passage que l’argument “cette réforme oui mais avec le samedi” a disparu de la circulation.
Tiens tiens … Et voilà que le vaisseau dindon vacille ! Où sont les belles idées selon lesquelles il fallait que la réforme aille plus loin ? Celles qui voulaient s’inspirer du modèle finlandais ? Celles qui voulaient un allègement conséquent des journées ?
Certains commencent à se désolidariser.

Il nous semble que chez les opposants à ces nouveaux rythmes, il y ait trois grandes catégories :
– ceux qui ne veulent travailler que 4 jours.
– ceux qui veulent une école classique avec des programmes denses centrés quasi exclusivement sur les maîtrises techniques… celle qui fait échouer tant d’élèves mais réussir d’autres, les plus favorisés. Ces mêmes qui ont compris la vision de l’école de Vincent Peillon et qui préfèrent celle des Le Bris ou Brighelli.
– ceux qui auraient voulu mieux dans l’allégement des journées, la répartition de l’année, dans la prise en compte globale de l’éducation (au delà de l’école).

Pour les deux premières catégories, il est temps de ne plus les écouter, pour la troisième, c’est le moment d’essayer de construire plutôt que détruire. Agir localement, essayer, puis améliorer afin de porter l’espoir d’une école émancipatrice pour tous. Et passer à la suite : les programmes, les RASED, le collège (qui aura aussi ses conservateurs, voire davantage), le lycée, le socle commun …

Laurent Fillion, Guillaume Caron

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La mémoire courte (par Philippe Watrelot)

In Au piquet on 19 février 2013 at 9 h 28 min

Pour des raisons normales et logiques de nombre de caractères, le billet du mois des Cahiers Pédagogiques intitulé “la mémoire courte »  signé par Philippe Watrelot est réduit par rapport à sa version initiale.  On peut le lire dans sa version longue ci-dessous :

 

Faisons un rêve, ou plutôt un cauchemar… Imaginons que Nicolas Sarkozy ait été vainqueur le 6 mai dernier. Imaginons, que par exemple, Nadine Morano, ait été nommée ministre de l’éducation nationale. Nous serions en ce moment en train de subir la pire rentrée en attendant la prochaine encore pire. Nous aurions appris par ailleurs le projet du secrétaire d’état Guillaume Peltier de supprimer le droit de grève des enseignants. Et devant cette accumulation déprimante, les manifestations rituelles ne rassembleraient que quelques milliers de personnes et les salles des profs résonneraient de lamentations et de déplorations sans fin !

Heureusement ce n’est qu’un cauchemar uchronique et c’est un président (et un gouvernement) qui a bâti sa campagne sur la priorité à la jeunesse et l’éducation qui a été élu. Mais la déploration dans les salles des profs et les salles des maîtres est là et bien là et plus forte qu’avant … Et on vient quelquefois à se demander si les enseignants n’ont pas la mémoire courte…

On peut bien sur expliquer cela par les ravages causés par cinq ans de sarkozysme. Et par l’impatience qui en résulte. On peut aussi, bien sur, imputer une partie de ce malaise à des erreurs de communication ministérielle. Mais on peut aussi s’étonner que, dans la situation actuelle, on ne voie que le verre à moitié vide et que l' »aquoibonisme » l’emporte sur l’optimisme et la volonté de changement.

Plus grave encore, on peut se demander si l’intérêt des élèves n’est pas oublié et passé au second plan devant les intérêts catégoriels. « oui à une vraie refondation, mais pas celle là, pas comme ça… » nous rétorquera t-on. « nous voulons être consultés, nous, nous savons ce qui est bon pour les élèves… » pourra t-on ajouter… Évidemment, il est toujours possible de faire mieux et autrement mais nous savons et nous l’avons déjà écrit à de nombreuses reprises, que l’accumulation des préalables, qu’attendre que toutes les conditions soient réunies pour décider d’avancer, est souvent le meilleur moyen de faire du sur-place ! L’attente du « grand soir » pédagogique peut masquer un gaucho-conservatisme proprement réactionnaire.

Le rapport de la concertation pour la refondation de l’école constatait un « diagnostic partagé ». On en vient à en douter. Les enseignants, et au delà la société française sont-ils vraiment persuadés de la nécessité de réformer l’école ? N’est on pas en train de s’accommoder de l’exclusion des élèves les plus en difficulté pour ne pas avoir à remettre en question les pratiques et l’organisation actuelle de l’école ?

Bien sûr, l’action menée par le Ministère et le gouvernement n’est pas exempte de critiques. Alors que le projet de loi devait être initialement présenté à l’Assemblée en décembre, il ne le sera finalement qu’en janvier ou février. Les retards pris laissent penser alors qu’on aurait pu organiser une consultation des personnels plutôt qu’une concertation menée pendant l’été auprès des corps intermédiaires et donne prise à une partie des critiques portant sur la méthode. La volonté de traiter la question des rythmes en premier parce que le sujet avait déjà été largement balisé par des travaux préalables s’est heurtée à des résistances imprévues de tous ordres et ce ralentissement risque de peser sur la suite de la refondation. Le terme lui même de “refondation” peut avoir aussi des effets pervers puisqu’il est très ambitieux et qu’il expose à des critiques sur la modestie des évolutions mises en œuvre.

Le projet de loi tel qu’il existe aujourd’hui a aussi des lacunes. Elles sont pour une bonne part le résultat de compromis et de concessions. Le danger est de perdre de vue l’ambition majeure qui est celle de la lutte prioritaire contre l’échec scolaire. Et de transformer la « refondation » en une simple “réparation”. Mais, en France, nous sommes prompts à juger d’une politique avant même qu’elle soit mise en œuvre. Face à cet enjeu majeur plutôt que l’esprit de critique, il nous semble essentiel de faire le pari d’une démarche constructive.

Nous n’avons pas la mémoire courte. Au CRAP-Cahiers Pédagogiques, nous avions intitulé nos premières assises de la pédagogie en 2007 ( !) “Résister et proposer”, aujourd’hui dans un contexte différent, nous voulons “proposer et agir”, pour changer l’École. Et ne pas oublier l’essentiel : les élèves…

Philippe Watrelot