Réflexions personnelles sur notre système éducatif et son actualité

Archive for février 2012|Monthly archive page

Ecole : La bataille idéologique reste à mener à gauche , par Pierre Frackowiak

In Uncategorized on 29 février 2012 at 18 h 52 min
Je suis très heureux d’accueillir et de publier  ici une tribune de Pierre Frackowiak au lendemain du discours de N. Sarkozy sur l’école
Où il est question d’idéologie, de projet, de refondation, ce beau mot auquel il faudra donner du sens bien au-delà et au-dessus de la protestation et du quantitatif
Homme du Pas-de-Calais, il illustre sa réflexion avec l’analyse du tract de la fédération socialiste du Pas-de-Calais
Dans son discours de Montpellier comme dans ses différentes interventions au sujet de l’éducation, N. Sarkozy poursuit avec détermination le combat idéologique engagé en 2007. D’abord de manière voilée, avec toute un série de mesures dont certaines pouvaient séduire les naïfs – comme l’aide individualisée et les stages de remise à niveau – et d’autres pouvaient trouver des complices séduits par le pilotage par les résultats et l’évaluationnite aigue qui peut donner une impression de technicité et d’objectivité habilement cultivée. La suppression de la formation des enseignants, le développement de l’autoritarisme d’un encadrement progressivement formaté et contraint, le conditionnement de l’opinion publique dont le conservatisme et la nostalgie permettaient toutes les audaces réactionnaires ont facilité largement le règne d’une pensée unique et les pratiques totalitaires.

Face à ce combat d’une force sans précédent dans l’histoire de l’école, il faut bien reconnaître que les réactions ont été faibles. En tous cas, elles n’ont pas été à la mesure de la puissance de la volonté ultra libérale, destructrice de l’école de la République, en marche forcée. Hors la protestation contre les mesures quantitatives et le soutien aux revendications corporatives, le silence a été le plus généralement pesant quant aux aspects idéologiques. Et quant des responsables de gauche ont prétendu s’attaquer  la question, ce fut le plus souvent de l’ordre de l’incantation. Grands discours sur l’école de la République, mais fuite devant le problème déterminant des contenus, des programmes, des finalités, de l’évaluation. Fuite aussi devant la souffrance des enseignants qui ne peut en aucun cas être réduite au nombre de postes.

La réussite du projet de N. Sarkozy est une réalité et permet à un grand nombre d’acteurs du système de penser que les outils mis en place permettent raisonnablement de penser qu’il y a un grand nombre de mesures irréversibles, d’autant que de nombreuses dispositions sont prises pour empêcher toute réforme progressiste, ou, pour le moins, la freiner.

La disparition de la formation professionnelle des enseignants est à cet égard une catastrophe. Les nouveaux enseignants adhèrent par exemple aux nouveaux vieux programmes de 2008 : ils leurs paraissent simples, et dans ce domaine l’objectif du pouvoir est atteint, ils sont proches des représentations traditionnelles et des images d’Epinal de l’école ; ils n’ont jamais entendu parler d’autres pratiques sauf évasivement ou de manière caricaturale ; ils sont oppressés et, même si l’évaluationnite angoissante leur pèse, ils considèrent qu’il faut bien évaluer et qu’il n’existe pas d’autres possibilités que celles qui sont imposées

La faiblesse du syndicalisme enseignant, sa division, la compétition permanente entre les organisations, la frilosité historique de certains face aux comportements aberrants des petits chefs, l’absence de solidarité au sein même des établissements (L’individualisme exacerbé est à mettre au compte des réussites du pouvoir), la superficialité du travail d’équipe quand il existe sont autant d’atouts pour favoriser la construction du système libéral, ambition désormais affichée sans vergogne ; On a vu des organisations soutenir certains dispositifs se faisant ainsi complices de l’ensemble, au nom, bien évidemment, de l’intérêt des élèves, cet argument magique qui permet de cautionner le contraire de ce que l’on défend.

La gauche n’aborde pas réellement le problème idéologique fondamental. Quand certains le font, c’est le plus souvent du discours sans propositions d’opérationnalisation, des souhaits et des promesses de l’ordre du quantitatif. Les organisations où l’influence du second degré est prépondérante prennent d’abord bien garde de protéger les contenus au nom de la culture commune de haut niveau pour tous, en continuant à sacraliser les disciplines scolaires classiques, cloisonnées et sclérosées, avec une référence massive à la didactique des disciplines et, le plus souvent, un grand mépris pour la pédagogie. La gauche de la gauche est traditionnaliste depuis longtemps. On n’oublie pas que nombre de leurs responsables étaient et sont opposés au collège unique, ont soutenu et soutiennent les positions de l’auteur de la fabrique du crétin et de ses amis ultra réactionnaires. On peut parfaitement comprendre d’ailleurs qu’une organisation comme le SNALC puisse apporter sa caution aux positions du front de gauche. Si le front de gauche ne peut pas choisir ses soutiens, il doit bien admettre que certains soutiens ne peuvent être lus que comme un accord sur des positions qui apparaissent comme étant fortement passéistes.

Europe Ecologie les Verts ont donné l’image d’une volonté très progressiste, novatrice, courageuse au cours de leurs journées d’étude. L’influence de Philippe Meirieu y était sans doute pour beaucoup tant sa vision prospective et humaine suscitait l’enthousiasme depuis longtemps. Las, le discours de Mme Blandin, sénatrice verte du Nord, chargée de présenter le projet d’EELV, a été en grande partie d’un conformisme décevant, avec la marque de la culture du second degré. La pensée de Philippe Meirieu a été malheureusement fortement édulcorée, affaiblie, parfois ignorée. Là comme ailleurs, les propositions prospectives des experts ne résistent pas aux tendances conservatrices des appareils.

Le parti socialiste a fait un bond en avant avec le discours de François Hollande. Après une trop longue période de manque de courage, d’abstention en dehors des questions quantitatives, il plaide enfin pour une complète refondation du système. Il fallait disait-on de manière lancinante, récupérer les voix perdues par Claude Allègre. Ce faisant, le PS perdaient les voix de tous ceux qui attendaient un discours fort et un projet pour l’école du 21ème siècle. Il ne peut y avoir de refondation si l’on fuit les questions de fond comme les finalités, les programmes, les pratiques, l’évaluation. Certes, tout reste à faire comme le disent ceux qui, généralement, préfèrent ne rien faire. Tout reste à faire, donc promettons des postes et ne faisons rien ! Promettons même le rétablissement des RASED, la solution la plus intelligente pour lutter contre l’échec scolaire, mais évitons soigneusement les problèmes de l’évaluation et du traitement général de l’échec ! Certes, il manque la prise en compte claire et volontariste, de la notion de projet éducatif territorial. Il manque de l’audace quant à l’articulation entre un projet de société et un projet éducatif. Il manque une réflexion plus large sur la place des parents, sur le numérique… Mais les bases sont là,  donnant de l’espoir.

Il y a pourtant encore du travail pour que la réflexion de F. Hollande, de Vincent Peillon, de Bruno Julliard et de leurs conseillers puisse prendre de l’ampleur et provoquer l’enthousiasme quasiment disparu des établissements aujourd’hui, en dehors des équipes animées par les mouvements pédagogiques dont on ne dira jamais assez le rôle déterminant comme oxygène du système.

J’en veux pour preuve le tract A4 recto verso de la fédération socialiste du Pas-de-Calais, l’une des plus puissantes de France. Sa conception reprend un tract national et l’adapte au local. Une demi-page sur le thème « Arrêtons la casse de l’école publique » avec 8 constats : les postes, les conditions de travail, les RASED, la scolarisation à deux ans, l’augmentation de l’échec scolaire, les postes en LP, la disparition de certains enseignements, le remplacement et la formation des enseignants, l’augmentation de la violence due à un manque d’adultes. Une demi-page sur le thème : « Choisissons le changement avec François Hollande » avec 7 propositions : les 60 000 postes (sans contrepartie), l’accueil des deux ans, les rythmes scolaires, l’accompagnement personnalisé (Les autres l’on fait !), l’intégration du handicap, les filières professionnelles et technologiques, la formation professionnelle des enseignants et la recherche pédagogique ; Au verso, pleine page, la liste des 133 fermetures de postes. Tout cela est évidemment très bien, pertinent, indiscutable, mobilisateur pour ceux qui pensent que les moyens permettront de résoudre les problèmes persistants.

On se situe clairement dans la protestation, dans la proposition alternative sur des questions exclusivement quantitatives. Le projet politique, idéologique, – n’ayons pas peur des mots, la droite assume désormais son parti pris idéologique – n’apparaît pas. Est-il fui volontairement ? Est-il oublié depuis que le débat idéologique a soigneusement été évité depuis de trop nombreuses années ? Pense-t-on qu’il suffira de modifier le système aux marges, de le réparer sans le remettre en cause, de le coloriser ?

Le thème du discours de F. Hollande était pourtant la refondation. Le mot refonder n’apparaît pas une seule fois. Il est vrai qu’il faudrait l’expliquer, mobiliser les démocrates, informer une opinion publique  qui n’est – il est vrai – pas prête, faut de débat, de réflexion collective, de travail idéologique depuis trop longtemps.

Refonder l’école. Magnifique slogan. Mais il serait temps de l’expliquer, de le mettre en perspective, de l’enraciner sur une vision prospective des apprentissages tout au long de la vie et d’un projet de société. Faute de quoi, même en cas de victoire, c’est le conservatisme de tous bords qui aura, une fois de plus, gagné.

 

Pierre Frackowiak

Inspecteur honoraire de l’Education Nationale

Pédagogue

Auteur

Publicité

Ce n’est certes que l’avis d’un prof de collège de base

In Uncategorized on 29 février 2012 at 9 h 54 min

Monsieur le Président,

Vous avez fait hier plusieurs annonces concernant l’éducation. Je souhaiterais revenir sur la principale d’entre-elles : demander aux professeurs un temps de présence plus long (26 heures au lieu de 18) en échange d’une augmentation de leur salaire de 500 euros.

En ces temps de crise, faut-il vraiment nous proposer une telle augmentation de salaire pour des heures que nous faisons déjà pour la plupart d’entre nous ? En effet, à bien y regarder, nous atteignons très facilement ces 26 heures de présence. Si je prends l’exemple de mon collège, en cumulant les trous dans les emplois du temps, l’accompagnement des élèves pour préparer l’épreuve d’histoire des arts, les heures du midi où nous accueillons les élèves qui souhaitent de l’aide … nous sommes bien présents dans l’établissement.

Certes, nous n’avons pas forcément du bureaux pour le faire dans de bonnes conditions. Mais, franchement, je ne vois pas comment il pourrait y en être autrement : à la rentrée prochaine, nous n’aurons déjà pas assez de salles ni de mobiliers pour tous les élèves (les 400 000 élèves de moins, ce n’est certainement pas chez nous !)

J’avoue que certaines semaines, je passe peut-être un peu moins de temps au collège pour pouvoir préparer dans les meilleures conditions mes cours. En effet, il faut aussi pouvoir consacrer des heures à l’élaboration de nos séquences d’apprentissage surtout si l’on veut suivre l’avancée des recherches dans notre discipline, y apporter une dose de différenciation, et une autre d’utilisation des tice (ce serait dommage de s’en priver quand on travaille dans un établissement bien doté grâce à l’effort fait par le conseil général … et je ne travaille pourtant pas en Corrèze). Cet état de fait va forcément décevoir ceux qui dans votre discours ont cru percevoir (sans doute à tort) une critique du temps de travail des enseignants.

Je vous sais évidemment gré de vouloir nous proposer une augmentation de salaire. C’est vrai que nous gagnons 25 fois moins que ceux qui craignent aujourd’hui d’être imposé à 75% par votre principal concurrent, mais je n’aurai pas l’outrecuidance de parler de « paupérisation » des enseignants. Quand on habite comme moi dans une région dévastée par la désindustrialisation et le chômage, on sait que la paupérisation relève d’une autre réalité.

Plutôt que d’augmenter nos salaires, jouons la solidarité en ces temps de crise en créant de nouveaux postes ; et les élèves en seront forcément encore mieux encadrés.

Et n’oublions pas nos collègues du primaire qui eux, sont déjà présents 26 heures dans leur école tout en ayant des temps de préparation sans doute encore plus long que nous. Et pourtant ils sont déconsidérés financièrement et socialement alors que pour ma part j’ai toujours trouvé qu’il était plus difficile d’enseigner en maternelle qu’à l’université, en élémentaire qu’au collège ou au lycée ! Ces 500 euros que vous nous promettez vont accentuer les écarts entre eux et nous alors que leurs conditions de travail vont empirer au vu du nombre de classes supprimées encore en septembre en maternelle et en élémentaire et du fait de la suppression des postes de RASED.

Jouer une catégorie d’enseignants contre une autre, jouer les familles contres les enseignants, les enseignants contre les élèves m’a toujours paru néfaste d’où que cela vienne. Aussi votre fausse bonne idée ne peut aller, vous l’aurez compris, selon moi, dans le bon sens.

Ce n’est certes que l’avis d’un prof de collège de base.

Les jugements sur l’évaluation par compétences sont-ils justes ?

In Salle des profs on 8 février 2012 at 11 h 41 min

Dans l’Expresso de mercredi dernier François Jarraud titrait à propos d’une étude de la DEPP publiée par la Documentation Française « L’évaluation par compétences est-elle juste ? «  Au vu des dernières prises de positions du Café Pédagogique sur les compétences et le socle commun, on pouvait aisément se douter avant de débuter la lecture de l’éditorial que la réponse y serait négative.

Cette conclusion annoncée dès le titre pose un réel problème. On y confond une fois de plus validation et évaluation. Fallait-il une étude pour se rendre compte que la validation du LPC telle qu’elle a été imposée dans la précipitation pouvait engendrer des inégalités dans la rigueur avec laquelle elle est mise en place ?

Or, c’est justement en absence d’une réelle évaluation par compétences que la validation des compétences peut au final s’avérer injuste. Quand vous évaluez avec des notes toute l’année et qu’on vous demande en juin de valider les « compétences » du LPC, cela se fait à posteriori, sur des  « sentiments » et là forcément comme le souligne l’étude et l’article, les élèves « qui se déclarent bons élèves » (ou qu’on déclare ?) sont avantagés.

Par contre, quand vous avez évalué pendant une voire quatre années les élèves par compétences, quand vous avez conservé des grilles (qu’on qualifie un peu vite d’usines à cases) ou quand vous disposez de leur port-folio, quand vous avez sous les yeux leurs acquis, leurs progrès et leurs manques, la saisie de la validation de compétences se fait entoute connaissances de causes.

NON, l’évaluation par compétences n’est pas injuste, c’est au contraire son absence qui provoque des injustices au moment de la validation.

D’autre part, cette étude est finalement un aveu d’échec. Le Socle Commun doit être -rappelons-le- maîtrisé par tous les élèves en fin de scolarité obligatoire. Il semble donc qu’il n’en est rien.

Certes les profs ont bizarrement toujours beaucoup de scrupules à accepter de « mettre 20 » à tout le monde, comme si un savoir ou une compétence partagé(e) par tous aurait moins de valeur ? à moins qu’il n’y ait une volonté cachée de toujours sélectionner.

Mais force est de constater aussi que le contenu du socle -tout en oubliant des compétences importantes- est souvent trop ambitieux.

Surtout, seule la généralisation de l’approche par compétences et de l’évaluation de même ordre aidera les enseignants à réussir dans cette tâche, grâce au suivi des acquisitions et donc de la remédiation qu’elle permet.

Encore faudrait-il pour cela ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain en déclarant par exemple qu’elle provoque autant d’inégalités que la note…