« Les mensonges sont plus crédibles quand ils sont énormes et détaillés. » (Hugo Pratt)
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Débattre pour avancer. Opposer un projet à un autre. Tolérer les idées de ses contradicteurs. Beau programme, tout à fait normal entre personnes qui se retrouvent dans l’humanisme, la démocratie, la citoyenneté, la république…
Sauf que …
Sauf que lorsqu’il s’agit des débats liés aux problèmes éducatifs, ce n’est pas aussi simple.
Comment se débattre sereinement avec des contradicteurs qui caricaturent, dénaturent vos positions ? La tolérance à sens unique, ce n’est tenable qu’un temps.
Comment débattre sereinement avec des contradicteurs qui utilisent les mensonges les plus éhontés comme arguments principaux ?
Prenons un exemple, l’intervention de Claire Mazeron, à l’Université d’été du MRC à Valence, le 5 septembre 2010.
La vice-présidente du SNALC joue bien évidemment la carte du catastrophisme Elle y dénonce « un certain nombre de réformes et de mesures » qui « contribuent à casser l’école » (sic). Parmi ces mesures, elle cite :
« − la révision à la baisse des programmes et des contenus d’examen. Par exemple, la grammaire et l’orthographe ne donnent plus lieu à aucune évaluation ni sanction. »
Passons sur l’association étrange « évaluation/sanction » pour en rester à l’objet de ce billet. Je ne peux pas croire qu’une professeure agrégée, co-dirigeante d’un syndicat d’enseignants du second degré ne connaisse pas les modalités d’attribution du brevet des collèges. Je dois donc bien conclure à un mensonge pour tromper l’auditoire. Rappelons donc que la première partie de l’épreuve de français du brevet des collèges comprend des questions sur un texte (dont des questions de grammaire) et une dictée !
« − le type d’évaluation préconisé : on n’évalue plus les connaissances mais les « compétences ». Le socle commun défini par le Ministère demande d’évaluer non plus des savoirs ou des savoir-faire mais des « savoir-être ». «
Deuxième affirmation, deuxième interrogation. La simple lecture d’une circulaire du ministère permet de se rendre compte qu’il n’en est rien. Le titre seul suffit à comprendre que les connaissances n’ont pas été oubliées (on en est même bien loin en ce qui concerne la culture humaniste !) puisque le socle se nomme « socle commun de compétences ET DE CONNAISSANCES ». Une lecture même rapide du document confirme que le contenu est bien souvent centré sur les connaissances. Remarquons même au passage que priorité est donnée à l’apprentisage de l’orthographe et de la grammaire (moi qui ai cru comprendre que « la grammaire et l’orthographe ne donnent plus lieu à aucune évaluation ni sanction. ») Pas de trace par contre dans cette circulaire de l’expression « savoir-être »
« − la promotion des « méthodes actives » et des pédagogies constructivistes fait de l’élève l’artisan de sa propre éducation : on lui demande de construire le cours tout seul. »
On en arrive là à l’un des propos caricatiraux les plus répandus chez les adversaires des « pédagogies constructivistes ». Il faut ne rien avoir lu sur le sujet, ou ne rien y avoir compris … ou vouloir induire en erreur pour confondre « construire un savoir » et « construire un cours » tout seul. Notons la perfidie du propos, un prof qui pratiquerait une telle pédagogie ne préparerait donc même plus ses cours puisque c’est l’élève qui le fait.
« − l’enseignant a été transformé en animateur socio-culturel sans compétence disciplinaire particulière – avec horaire et salaire en conséquence… »
Les animateurs socio-culturels apprécieront au passage le complexe de supériorité des enseignants qui se reconnaissent dans ces propos. Là aussi la simple lecture de la circulaire sur les missions des enseignants permet de se rendre compte du caractère inapproprié de cette expression. « Sa mission est tout à la fois d’instruire les jeunes qui lui sont confiés, de contribuer à leur éducation et de les former en vue de leur insertion sociale et professionnelle. » peut-on lire dans ce texte que tout enseignant, qui plus est responsable syndical se doit de connaitre.
Une autre constante dans les débats opposants les deux courants de pensée du monde éducatif est la tentation, par les tenants de la tradition, de faire croire qu’ils ont affaire à un complot qui fait fi des clivages politiques habituels.
Lors de son intervention du 5 septembre 2010, Claire Mazeron n’a pas pu s’empêcher de l’évoquer dans sa conclusion intitulée « fin de l’école républicaine, hasard ou complot? ». Elle y dénonce une alliance contre-nature qui regroupe » A droite, les ultra-libéraux [… et] les pédagogistes de gauche ». En porte-parole du bon côté de la force, elle appelle au sursaut : « Cette alliance droite-gauche doit être contrée ».
Franchement, on ne peut que sourire en lisant ces phrases si on se rappelle qu’elles sont dites par la vice-présidente du snalc (syndicat classé à droite) devant les militants chevènementistes du MRC (classé à gauche), et si on sait qu’une autre voix de ces thèses est une journaliste qui est passé de Marianne au Figaro. On pourrait aussi facilement s’amuser à dénoncer là un complot et une alliance contre-nature. Quoique, on nous rétorquerait alors que le « bon sens » (autre tarte à la crème habituellement utilisée par les « républicains » autoproclamés) ne connaît pas les clivages politiques.
Puisqu’on est dans une période de voeux, faisons donc celui que certains acteurs et observateurs du monde éducatif soient désormais capables de débattre en mettant en avant les avantages des solutions qu’ils proposent plutôt qu’en dénaturant les propos de l’autre et en travestissant la réalité.